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27 octobre 2025

Tribune – Devoir de conseil auprès des personnes vulnérables : Les risques de la « zone grise »

Tribune Aurelia CLERICI - Devoir de conseil - Les Risques de la zone grise - Visuel site internet

Par Aurelia CLERICI, Administratrice CNCEF ASSURANCE, association professionnelle agréée d’Intermédiaires en Assurance 

Entre 800 000 et un million de personnes majeures font aujourd’hui l’objet de mesures de protection judiciaires comme la sauvegarde de justice, la curatelle ou la tutelle. Si leur aptitude à prendre des décisions patrimoniales est bien encadrée, il n’en va pas de même pour celles qui manifestent des signes de vulnérabilité qui peuvent faire douter de leur capacité à s’engager. Une « zone grise » que les professionnels assureurs, courtiers et CGP doivent repérer pour s’assurer du consentement éclairé de leur client et limiter ainsi leurs risques. Lacunes des dispositifs de protection, déficit de formation, que manque-t-il pour aller plus loin ?

Le no man’s land de la « zone grise » 

Entre la capacité pleine et entière – reconnue jusqu’à preuve du contraire – et l’application d’une mesure de protection judiciaire, les différents codes (civil, pénal, des assurances, de la mutualité, de l’action sociale, de la sécurité sociale, …) ne définissent pas précisément l’état de vulnérabilité qui caractérise la zone grise.

On peut cependant la dépeindre comme une fragilité récente financière et/ou psychologique, une dépendance affective ou économique, ou encore un isolement géographique, relationnel et social. Il est également nécessaire de faire la part des choses face à un client temporairement fatigué, déprimé ou affecté par un deuil.

Est-il sain d’esprit au sens où le Code civil[1] le requiert pour réaliser un acte valable ? Dispose-t-il de sa pleine capacité à exercer ses droits ? Son consentement peut-il être remis en cause ?

C’est là toute l’ambiguïté de la zone grise, où le rôle du conseil consiste d’abord à s’assurer du consentement éclairé de son client. Un consentement qui est l’expression d’une volonté et qui se construit à partir de la compréhension de sa décision et des conséquences de l’acte envisagé et de son poids relatif au regard du patrimoine.

Les signes qui doivent alerter à tout âge

Une personne âgée n’est pas forcément vulnérable et une personne vulnérable n’est pas forcément âgée. Mais une étude récente du Ministère de la Justice anticipe l’augmentation de 64% par an entre 2024 et 2070 du nombre d’ouvertures de mesures de protection juridique et l’attribue principalement à la hausse de la part de personnes de 75 ans et plus dans la population et à l’augmentation de l’espérance de vie qui ne correspond plus à l’espérance de vie en bonne santé. Des personnes qui pourraient fort bien dans les années à venir commencer à entrer dans la fameuse zone grise….

A tout âge cependant, l’ACPR et l’AMF ont listé des critères permettant de détecter les potentielles vulnérabilités. Et au premier chef un comportement, des propos, une apparence physique ou vestimentaire inhabituels.

Les autorités de contrôle pointent également les difficultés à utiliser les objets de la vie courante, à se repérer dans le temps ou l’espace, ou encore à reconnaitre des personnes. Des signes qui doivent conduire un professionnel du conseil à la vigilance.

Enfin, et même si la seule présence de troubles cognitifs ne suffit pas à instaurer une incapacité, des difficultés de compréhension, de raisonnement, de concentration ou d’expression nécessitent de pousser plus avant le questionnement. Si aucun signe isolé n’est suffisant pour déterminer la vulnérabilité probable, un faisceau d’indices doit éveiller l’attention du conseil.

Le client est-il en mesure d’exposer clairement sa situation personnelle et financière, son environnement familial ou affectif ? Quelle est sa compréhension de l’opération ou du contrat envisagé ? Peut-il reformuler les conséquences de son engagement ou de son abstention ?  Est-il sous l’influence d’un tiers ?

En cas de situation manifeste, l’intermédiaire devra recourir à l’abstention, à l’expertise médicale en cas de doute, voire au signalement auprès du Procureur de la République.

Des risques importants aggravés par les lacunes du dispositif

La validation du consentement, renforcé en cas de vulnérabilité, est au cœur du devoir de conseil de l’intermédiaire. C’est lui qui devra démontrer que son conseil était adapté à la vulnérabilité de son client, et qu’il a développé un questionnement fouillé, ne laissant pas place au doute.

A défaut, les conséquences possibles sont lourdes : nullité de l’acte ou de l’opération pour consentement vicié ; responsabilité civile pour défaut de conseil ou mauvais conseil avec dommages-intérêts à la clé ; responsabilité disciplinaire auprès de l’ACPR et de l’AMF.

Le risque existe aussi de voir engager sa responsabilité pénale pour abus de faiblesse. Enfin, et ce n’est pas le moindre, le risque de réputation, notamment sur les réseaux sociaux, peut s’avérer handicapant pour une activité basée sur la confiance …

Mais les lacunes du dispositif de protection des personnes vulnérables rendent la tâche plus difficile encore.

Un professionnel du conseil ne peut pas, par exemple, . Il ne sait donc pas si son client peut faire seul ou non certains actes d’administration et si le curateur est un membre de la famille qui pourrait exercer des pressions….

Il ne sait pas non plus si le même curateur a demandé ou non le renouvellement de la mesure après 5 ans, et si dans ce cas son client est considéré juridiquement comme ayant sa pleine capacité.

Les assureurs, courtiers et CGP ne sont pas forcément juristes et sont parfois démunis pour maîtriser ces situations. Pourquoi ne pas leur donner en formation initiale un socle de base avec les bons premiers réflexes ? Et faire de la protection des personnes vulnérables un module de la formation continue obligatoire ?

Pourquoi ne pas aussi, comme le préconise le rapport de mission interministériel CARON-DEGLISE, mieux faire connaître le mandat de protection future, qui permet d’anticiper une perte de capacité physique ou mentale, en désignant un tiers de confiance associé à des mesures de gestion patrimoniale ?

Le devoir de conseil n’est pas qu’une exigence légale, c’est aussi une démarche de protection du professionnel, du client et de ses ayants droits. Il faut la doter d’outils pour qu’elle produise ses pleins effets.

[1] Art. 414-1


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